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Marie Mancini : la voix des filles qu’on envoie au couvent pour les faire taire

Et de celles qui, malgré tout, écrivent.

Elle était née trop libre, et trop tôt.

Marie Mancini parlait avec le feu des filles qu’on rêve sages, mais qui refusent de baisser les yeux.

Son regard n’avait pas l’obéissance qu’on exigeait des femmes à marier. Son rire ne se pliait pas aux courbes des tapisseries. Alors, comme tant d’autres avant elle, on l’a envoyée au couvent. Non pour la sanctifier, mais pour la faire taire.

C’est là, entre les murs blancs d’un cloître romain, que commence la vraie histoire. Celle qui ne s’écrit pas dans les traités diplomatiques ni dans les lettres du roi, mais dans le silence d’une jeune fille qu’on voulait modeler, et qui, au contraire, allait devenir l’une des premières à écrire sa vie sous son propre nom.

Marie Mancini naît en 1639 à Rome. Elle est la nièce du tout-puissant cardinal Mazarin. Elle est envoyée à la cour de France dans le but, à peine voilé, de faire un beau mariage. Mais à seize ans, elle rencontre Louis XIV, encore adolescent, encore sous la régence, encore hésitant.

Ils tombent, presque inévitablement, amoureux. Il lui promet la couronne de France.

Mais c’est un amour que ni la cour ni la raison d’État ne pourront tolérer.

Quand Marie est écartée pour permettre l’union politique du roi avec l’infante d’Espagne, ce n’est pas seulement une liaison que l’on brise, c’est une volonté qu’on exile. Marie épouse, peu après, Lorenzo Colonna, un prince romain — mariage sans amour, alliance étouffante.

Elle tente de se conformer, un temps, mais tout est trop violent, alors elle s’en va.

À travers l’Europe, avec sa sœur Hortense, elle cavale pour trouver la paix, et retrouver son amour de jeunesse.

Dans ses Mémoires, publiées en 1676, elle raconte, sans fard, son amour perdu, son mariage forcé, sa fuite — et sa pensée. C’est un texte intime, inattendu, écrit dans une langue directe, presque moderne. Une voix de femme, non décorative, non soumise, non effacée.

(Marie Mancini, Mémoires, Gallimard, coll. Folio, 2008)

Son courage, sa solitude, sa fureur silencieuse résonnent avec d’autres femmes de son siècle.

À commencer par Gabrielle Suchon.

Elle aussi fut enfermée dans un couvent — de force. Elle aussi refusa cette voie.

Elle en sortit et consacra le reste de sa vie à penser, seule.

En 1700, elle publie Du célibat volontaire, un traité dans lequel elle défend l’existence d’une vie féminine autonome, sans mariage, sans ordre religieux, libre par choix.

Elle y affirme :

« Ce n’est pas que les femmes soient moins capables de raison, c’est qu’on leur interdit l’usage. »

Et ce n’est pas un pamphlet. C’est une œuvre philosophique rigoureuse, subtile, fondée sur Aristote, Platon, Augustin. Elle le signe de son nom. Sans mari. Sans pseudonyme. Sans appui masculin.

(Gabrielle Suchon, Du célibat volontaire, éd. Honoré Champion, 2000)

Un siècle plus tôt, une autre voix s’était déjà levée.

Marie de Gournay, la « fille d’alliance » de Montaigne.

Elle découvre Les Essais à dix-huit ans, les lit comme on boit l’eau quand on a manqué d’air. Elle écrit à Montaigne, le rencontre une seule fois. Il la reconnaît comme sa fille spirituelle. Et à sa mort, elle devient l’éditrice posthume de son œuvre.

Elle publie ensuite son propre texte : L’Égalité des hommes et des femmes, en 1622.

Elle y écrit, calmement :

« Les femmes ne sont pas inférieures par nature, mais parce qu’on les fait inférieures. »

On se moque d’elle. Elle persiste. Elle écrit à la lueur d’une chandelle, dans une chambre pauvre, entre une commode bancale et des papiers en vrac. Elle vit seule, entourée de ses phrases.

(Marie de Gournay, Égalité des hommes et des femmes, éd. Classiques Garnier, 2010)

Toutes trois — Marie, Gabrielle, Marie — ont refusé d’être réduites à ce qu’on attendait d’elles.

Elles ont été envoyées au couvent, aux marges, à l’exil.

Et elles en sont revenues avec une plume dans la main.

Absolument pas pour se venger, mais pour témoigner, pour dire ce que vivent les femmes muselées. Elle y parle de désespoir, y déverse la rage mais surtout, surtout, la pensée libre.

Marie Mancini ne fut pas une victime romantique.

Elle fut une voix. Celle de toutes les filles qu’on a enfermées « pour leur bien », celle qui ont dit non, celles qui n’ont jamais pu vivre leur grand amour ou leur plus belle ambition.

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