Louis XIV et Marie : amour ou illusion ?
On raconte qu’il l’aima d’un amour entier, brûlant, inattendu.
Avant Versailles, avant les favorites légitimées, avant l’éclat millimétré du pouvoir absolu, il y eut elle : Marie Mancini, la nièce du cardinal Mazarin, cette jeune Italienne aux yeux sombres, à la langue acérée, à l’âme trop vaste pour les salons mesurés de la cour de France.
Ils avaient seize et quatorze ans, et l’histoire n’était pas encore écrite. Louis n’était pas encore le Roi-Soleil, et Marie n’était qu’une étrangère dont le nom n’était qu’un sillage de parfums venus de Rome. Elle parlait fort, pensait vite, lisait autant qu’elle respirait, et lui, prince docile au regard fiévreux, s’asseyait près d’elle pour entendre autre chose que les leçons du trône : une voix libre.
Dans les lettres que Louis XIV adresse à Marie, avant que la raison d’État ne les sépare, la passion affleure sans détour, sans masque, comme si, pour une fois, l’Histoire avait oublié de se tenir droite (Lettres de Louis XIV à Marie Mancini, Armand Baschet, 1862).
« Je n’aime que vous, je vous aime éperdument », écrit-il.
Une phrase nue, sans protocole. Une phrase d’homme avant d’être roi.
Ils se retrouvaient dans les jardins du Louvre, dans les galeries encore froides de cette cour de France qui se relevait à peine de la Fronde. Il lui parlait comme on parle à quelqu’un qu’on ne cherche pas à séduire, mais à comprendre. Marie ne souriait pas toujours, elle ne baissait pas les yeux. Elle riait trop pour plaire à la reine-mère, elle posait trop de questions pour rassurer les ministres. Elle ne voulait pas régner, elle voulait exister — à sa manière.
Ce fut précisément cela qui signa leur perte.

Car Louis devait épouser une infante, non une muse. Un traité attendait son nom, et non ses sentiments. Mazarin lui-même, pourtant oncle de Marie, céda aux exigences politiques. On murmure que la séparation fut brutale, précipitée, presque arrachée. Marie partit, contrainte, le cœur encore rouge du sceau royal. Et dans une lettre que la mémoire collective a retenue, qu’on attribue à Marie, peut-être apocryphe mais si douloureusement juste, on peut lire cette phrase :
« Vous pleurez, et pourtant vous me chassez. »
(BNF, manuscrit français 12454)
On imagine la scène. Le carrosse au petit matin. La robe qui frôle le marbre humide. Le roi figé sur le perron. Et dans l’air, une chose plus puissante que l’amour : le renoncement.
Le roman Vous serez ma reine ne romantise pas leur histoire. Il la regarde de biais, avec pudeur et justesse, depuis le seuil de ce qui aurait pu être. Marie y est pensée depuis l’intérieur. Pas comme une amante, mais comme une femme en formation, façonnée par la défaite intime, et non par le pouvoir.
Elle n’en devient que plus vivante.
Elle ne réclame rien. Elle écrit. Elle doute. Elle reprend souffle dans les villes d’exil — Rome, Naples, Madrid. Elle aime, autrement. Jamais plus comme avant. Elle ne court pas après Louis. Elle court après elle-même.
Et Louis ? Il ne l’oublie pas vraiment. Il devient roi, totalement, c’est-à-dire seul. Il épouse Marie-Thérèse par devoir, se laisse plus tard divertir par d’autres femmes. Mais il n’écrira jamais plus avec cette sincérité-là. Pas une seule fois. Il aura des favorites, des enfants, des années de règne. Mais ce qu’il perd, ce jour-là, c’est la possibilité d’aimer sans costume.
Était-ce un amour véritable ou l’illusion brûlante de deux adolescents intelligents, contraints trop tôt à se tenir droits ?
L’histoire n’a pas de certitude, mais les lettres disent autre chose que les récits officiels. Elles disent l’hésitation, la douceur dans la voix d’un futur roi, l’ironie tendre dans celle d’une presque-reine.
Elles disent le tout premier vertige, celui qu’on ressent une seule fois, peut-être, dans une vie.
On trouve, dans les Mémoires de Madame de Motteville, ce portrait discret mais limpide :
« Elle n’était point belle, mais elle avait ce feu dans l’œil qu’on ne feint pas. »
Ce feu, le roman le ravive.
Il ne cherche pas à corriger l’Histoire. Il l’écoute. Il s’approche des silences, des brouillons d’adieux, des phrases raturées.
Marie n’a pas régné, sur un pays, mais il a écrit pour celui qui a brillé en pensant à elle.