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Lettre de Céleste à elle-même — pour ne pas oublier

On dit parfois que survivre, c’est déjà une victoire. Mais moi, je n’ai jamais voulu survivre. J’ai voulu choisir. J’ai voulu dire non. J’ai voulu vivre autrement que dans la poussière des exécutions et le silence des geôles. Et ce désir-là, ils ont tout fait pour l’étouffer. Mon père, Joachim, Basile, le monde tout entier.

Je suis née dans le sang et les cris, dans une maison où l’on ne distinguait plus la peur de l’obéissance. Mon père m’a aimée profondément, à sa manière. Il m’a habillée en garçon pour me protéger, peut-être. Peut-être aussi pour oublier que j’étais née fille dans un monde qui ne veut pas des filles.

Je n’étais pas destinée à exister. Et pourtant, j’ai pris corps. Je me suis tenue droite. Je suis devenue Céleste Clercy. Une imposture ? Non. Une métamorphose. Et dans ce mensonge-là, j’ai trouvé ma vérité.

Un jour, j’ai sauvé un enfant. Il avait les yeux clairs d’un futur roi et la fragilité d’un oisillon tombé du nid. Je n’attendais rien en retour. Mais il s’en souvient. Il m’a reconnue. Et il sait. Le secret que je porte, il est en lui aussi, quelque part. Cette honte qu’on nous apprend à dissimuler, cette colère qu’on camoufle sous des révérences. Le roi connaît mon secret. Et il l’a gardé.

Mais ce n’est pas cela, le plus terrible. Le plus terrible, c’est Nicolas.

Nicolas Fouquet.

L’homme que j’aurais voulu ne jamais rencontrer et que j’attends à chaque battement de cœur. Celui que j’ai haï pour ses privilèges, ses silences, sa place trop haute, et que j’ai aimé plus encore. Celui que j’ai désiré dans la boue et dans la soie, dans le vertige et dans le refus.

Quand ses lèvres ont touché les miennes, j’ai senti mes murailles s’effondrer d’un seul souffle. Pas parce qu’il m’a sauvée. Mais parce qu’il m’a vue. Il a su. Il a compris. Il a respiré mes ténèbres sans en détourner les yeux. Et cela, pour une femme comme moi, c’est l’équivalent d’un miracle.

Mais l’amour ne suffit pas.

Il ne suffit jamais.

Je suis la fille du bourreau. Il est l’homme du roi. Et le roi n’épouse pas les héroïnes masquées, même celles qui l’ont tiré de la boue. Même celles qui l’ont aimé avant qu’il soit roi.

Je n’écris pas ceci pour me plaindre.

Je n’ai jamais été victime.

Je suis née au bord du monde, et j’en ai fait mon royaume. J’ai pris les armes, j’ai défié ceux qui m’avaient condamnée avant même ma naissance. J’ai aimé un homme plus que je ne me suis aimée moi-même. Et pourtant, je suis encore là.

Entière. Debout.

Céleste.

Et si un jour j’oublie — si un jour le monde me fait douter de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai été — alors que ces mots me servent de rappel : j’ai sauvé un roi, j’ai aimé un homme, j’ai brisé mes chaînes. Et cela, personne ne pourra me l’enlever.

Pas même le silence.

Pas même l’Histoire.

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