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Le masque et le poison : ce qui a failli briser Yolande

Ou comment les pervers narcissiques savaient déjà séduire avant de soumettre

Il n’a jamais crié.

Il n’a jamais frappé.

Il n’en a pas eu besoin.

Il n’a pas eu besoin d’en faire trop. Juste un regard qui s’attarde un peu. Une voix douce, presque enveloppante. Des compliments discrets, glissés comme des caresses. Et cette manière de rabaisser sans jamais hausser le ton, comme si c’était pour ton bien.

Il ne posait pas de pièges, pas vraiment. Il enjolivait. Ses mots brillaient juste assez pour aveugler, sans qu’on s’en rende compte. Il savait dire ce qu’il fallait, au bon moment, avec le bon sourire et les silences bien placés.

Yolande l’a laissé entrer comme on ouvre une porte à quelqu’un de bien. Il avait l’air sûr de lui, respectueux, presque rassurant. Et il a failli la faire disparaître en grignotant ce qu’elle était.

Ce n’était pas un monstre, au sens propre du terme (quoique ?). C’était un homme cultivé, bien né, bien vu. Un homme comme tant d’autres à cette époque — et encore maintenant — qui savent manier les apparences comme on joue d’un instrument.

La violence, la vraie, on la repère. Elle cogne, elle marque. Mais la perversion… elle se glisse. Elle caresse, rassure. Puis elle isole, et elle fait douter. Elle vous murmure que c’est vous le problème. Trop sensible, trop instable, trop tout.

Et quand enfin on ose parler, poser des mots sur ce qui ne va pas, elle vous regarde comme si vous étiez folle. Comme si vous inventiez.

Yolande, dans La Danse des fauves, ne tombe pas parce qu’elle est naïve, mais parce que lui est très doué pour embrouiller les pistes, pour faire passer le poison pour un élixir.

Il ne l’humilie pas en public. Au contraire, il la met en valeur, juste assez pour qu’elle se sente redevable. Il l’écoute, oui, mais il déforme ensuite ce qu’elle dit, si subtilement qu’elle finit par douter d’avoir vraiment parlé.

Et puis un jour, elle ne sait plus. Ce qu’elle ressent ou ce qu’elle pense. Ce qu’elle mérite, surtout.

Ce genre d’homme n’a pas attendu Freud ou les hashtags. Il existait déjà, sous les perruques poudrées et les gants parfumés. Il savait très bien comment séduire pour mieux tenir, comment dominer sans jamais hausser la voix. Et il appelait ça l’amour. Ou quelque chose qui y ressemblait.

Le plus célèbre ? Le marquis de Sade.

Dans ses écrits comme dans sa vie, il théorise l’emprise, la destruction du consentement, le plaisir de faire souffrir moralement et physiquement — tout en conservant une posture d’intellectuel libertin. (Source : Michel Delon, éd. Pléiade, 1995.)

Autre figure troublante : Jean-Jacques Rousseau, qui dans ses lettres et ses Confessions, relate sa relation avec Thérèse Levasseur, femme qu’il infantilise, humilie, tout en se posant en victime de ses propres exigences. Il écrit pour l’émouvoir, pour la retenir, pour la faire douter d’elle-même — une forme de gaslighting avant l’heure. (Source : Rousseau, Correspondance complète, éd. Gallimard.)

Et puis il y a le duc de Richelieu — à ne pas confondre avec son aïeul cardinal.

Louis-François Armand de Vignerot du Plessis, maréchal de France, courtisan adulé, raconte dans ses Mémoires (1790) ses conquêtes menées avec méthode, ses stratégies de manipulation, sa capacité à séduire par intérêt puis à humilier en silence.

Ses histoires d’amour n’étaient que des jeux de pouvoir.

Et les femmes ? Des terrains de chasse.

Dans La Danse des fauves, Catherine Delors ne dénonce pas un homme : elle éclaire un mécanisme par lequel une femme brillante, lucide peut se retrouver prise au piège d’un lien qui la détruit. Ce n’est pas de la faiblesse, c’est de l’humanité.

Ces hommes-là savent repérer les fêlures pour s’y installer.

Yolande finira par comprendre, mais pourra-t-elle lui échapper ?

Prendre la décision de se croire, elle.

À toutes celles qui, aujourd’hui encore, croisent ces hommes brillants, séduisants, attentifs, mais toxiques :

  • vous n’êtes pas folles.
  • Vous n’avez pas imaginé.
  • Et vous n’êtes pas seules.

Ces violences-là ne laissent pas toujours de traces qu’on peut voir. Rien sur la peau, rien de spectaculaire. Mais dedans, ça creuse, ça abîme, ça use.

Et c’est pour ça qu’il faut les nommer. Pas pour se venger, ni pour rejouer l’histoire à l’envers, mais simplement pour pouvoir avancer, recoller les morceaux, retrouver un peu de soi.

Yolande l’a fait. Elle a mis des mots là où il n’y avait que du silence. Et c’est comme ça qu’elle a recommencé à vivre.

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