·

Fuir quand on est une héroïne

Il y a des héroïnes que l’on suit à la trace, qu’on voit venir de loin, bien dessinées dans le paysage. Et puis il y a celles qui nous devancent, qui prennent le virage avant même qu’on ait vu la route se dessiner. Ambrosia de Langford fait partie de celles-là. Elle ne se laisse pas rattraper facilement — pas parce qu’elle est floue, mais parce qu’elle avance plus vite que la plupart.

Ambrosia n’a pas quitté l’Angleterre par caprice, ni pour jouer aux aventurières en corset. Elle n’a pas plié bagage pour le frisson de l’inconnu. Elle est partie parce que rester aurait signifié être accusée à tort d’être une veuve assassine. Et chez nous, chez Jeanne & Juliette, on ne publie pas des femmes qui se résignent ou qui subissent l’injustice . On publie celles qui, un jour, décident d’exister coûte que coûte — même s’il faut pour cela tout quitter.

Dans son monde, tout semblait à sa place : un nom prestigieux, un manoir impeccablement entretenu, une alliance bien ajustée au doigt. Elle savait recevoir, sourire, moduler ses silences comme une partition. Elle brillait dans les salons. Mais elle pouvait briller plus forte et autrement, certainement pas dans un mariage arrangé.

Ambrosia pense à ce mort sans regret, car il lui a offert sa liberté, même avec le sacrifice de quitter les siens. Enfin presque, car sa tante, et marraine, l’embarque à l’autre bout du monde.

Elles sont arrivées à New York — et la ville avait hâte de les accueillir. C’était ce qu’il fallait à Ambrosia : un endroit où personne ne savait son nom, où personne ne lui demanderait d’expliquer quoi que ce soit, un lieu vaste, bruyant, indifférent, presque brutal dans sa façon de ne rien exiger. Là-bas, elle n’était plus “la veuve trouble”, ni “la fille de”, ni “Lady quoi que ce soit”. Elle était juste une femme dans une foule, une voix dans une autre langue, un silence qu’on ne connaissait pas encore.

Et oui, elle aurait pu s’effondrer, elle aurait pu choisir la disparition complète, s’éteindre dans l’anonymat, mais petit à petit, elle recommence à tenir debout, avec cette énergie tenace et bancale qu’ont celles qu’on a failli briser.

Chez Jeanne & Juliette, ce sont ces histoires-là qui nous bouleversent, pas celles qui brillent ni celles qui finissent (toujours) bien, mais celles où l’on sent tout ce que ça a coûté pour simplement survivre, celles qui ne cherchent ni à plaire, ni à émouvoir, mais qui existent, là, dans un recoin du cœur, comme un battement un peu trop fort, un peu irrégulier.

Ambrosia, elle, ne cherche pas à se faire pardonner d’une faute qu’elle n’a pas commise mais qu’une société entière lui reproche. Elle ne cherche même pas à être comprise. Elle avance, c’est tout, sans drapeau, sans pancarte, sans grand discours. Et si jamais vous croisez son regard, il ne faudra pas lui poser de questions. Il faudra simplement le soutenir.

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *