Les Canadiennes invisibles : l’histoire vraie derrière Florence Provencher
On les croise parfois, sans les voir vraiment. Dans les romans, dans les vieilles lettres, dans un coin d’archive un peu oublié. Elles traversent les histoires sur la pointe des pieds. Elles n’annoncent rien, elles n’interrompent personne. Elles sont là, simplement. Discrètes, solides, parfois têtues, souvent silencieuses. Pas de grandes robes, pas de répliques qui claquent. Des prénoms sans fanfare — Marie, Florence, Léontine. Dans l’ombre d’un escalier, dans la fatigue d’un hiver sans fin, dans une maison trop grande pour elles, ce sont leurs vies qu’elles écrivent. Gouvernantes, veuves, religieuses en transit, filles de ferme. C’est ça, les Canadiennes invisibles. Celles qu’on oublie de raconter. Ou qu’on résume trop vite.
Florence Provencher, elle, ne les incarne pas seulement. Elle leur rend justice.
Pas avec de grands discours. Avec une présence. Une manière d’être là, de tenir tête sans hausser le ton. Elle parle pour elles toutes, et cette voix-là — douce, nette, tenace — on ne peut plus l’ignorer une fois qu’on l’a entendue.
C’est une histoire ordinaire. Et c’est précisément pour ça qu’elle est importante.
Florence n’a ni titre, ni fortune, ni scène réservée. Elle vient de Sainte-Julienne, un village que personne ne connaît si on n’y est pas né. Là-bas, tout est un peu rude. L’air, les rapports, les gestes. Elle a grandi entre la cuisine, les courants d’air et les livres qu’elle dévorait en cachette. On lui avait tracé une ligne toute simple : se marier, avoir des enfants, tenir bon. Ne pas faire trop de bruit.
Elle n’a pas refusé la vie qu’on lui proposait pour se donner un genre, ou par caprice. Elle a compris, simplement, que ce n’était pas pour elle. Et elle est montée à Montréal, sans plan de secours. Elle était là pour vivre autre chose. Et qui sait ? Sa plus belle histoire ?
Alors, elle devient gouvernante dans une maison bien rangée, bien bourgeoise, bien corsetée. On la regarde comme un meuble de service, on lui parle à moitié. On attend qu’elle s’efface. A l’exception de sa patronne, Fiona Calder.
Mais Florence, elle regarde. Elle ne conteste pas, elle n’élève pas la voix. Elle observe. Elle pense. Elle décortique ce monde-là avec une lucidité tranquille, presque froide. Et surtout, elle ne baisse pas les yeux. Jamais.
Il y a une puissance étrange dans cette retenue. Quelque chose qui dérange, parce que ce n’est pas frontal. Florence ne provoque pas. Elle ne claque pas les portes. Elle les pousse doucement. Elle ne cherche pas à renverser l’ordre établi. Elle le regarde vaciller. Et parfois, elle pique, elle réplique, elle se fait entendre avec le mot juste. C’est son acte de résistance.

Marylène Pion, ou la dignité retrouvée
Cette force tranquille, cette insolence douce, ce refus d’être décorative — tout cela, on le doit à Marylène Pion.
Depuis des années, elle écrit pour celles qu’on ne voit pas, ou qu’on regarde sans vraiment les regarder. Celles qui ne font pas la une, qui ne posent pas dans les tableaux, qui ne signent pas les traités ni les discours. Des femmes de terrain, de soin, de labeur. Des mères, des filles, des sœurs, des inconnues aux mains crevassées, aux gestes précis, aux silences pleins. Celles qu’on oublie dans les manuels, mais qui ont fait tenir debout des générations entières.
Ce qu’elle fait, Marylène, c’est pas juste raconter.
Avec Florence, elle ne crée pas seulement un personnage. Elle réveille la mémoire de toutes les femmes dont on n’a jamais pris la peine d’écrire le nom.
Marylène n’en fait pas des saintes. Elle ne les lisse pas. Elle leur redonne juste un peu de chair, de voix, d’histoire. Elle écrit comme on tend une main. Pas pour se faire pardonner, pas pour expliquer. Juste pour dire : “Je te vois. Je ne t’ai pas oubliée.” Et franchement, c’est peut-être ça, le plus politique.
L’Histoire au féminin, enfin visible
Dans les livres d’histoire, ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent. Des hommes, des titres, des victoires. Mais à côté, il y avait d’autres vies. Moins bruyantes. Des femmes qu’on n’a pas racontées. Celles qui faisaient tenir les maisons, les enfants, le fil des jours.
Calder Wood, c’est un livre qui regarde là où on détourne habituellement les yeux. Dans l’ombre, dans le vrai. Avec Florence, on entre dans ce monde de femmes qu’on appelait par leur nom de famille, qui marchaient doucement pour ne pas déranger, mais qui n’oubliaient rien.
Florence ne cherche pas à donner des leçons. Elle existe, c’est tout. Elle regarde, elle comprend. Et elle tient bon. Grâce à Marylène Pion, les Florence ont enfin un visage, une voix. Et peut-être un peu de lumière.
L’héritage invisible… mais pas silencieux
En racontant Florence, c’est tout un pan de vie qu’on laisse remonter à la surface. Pas celui des vitrines ou des dates qu’on apprend à l’école. Non. Celui des femmes qu’on a tenues à l’écart, sans jamais vraiment les voir.
Des femmes simples, solides, qu’on n’a jamais applaudies mais qui ont, sans bruit, empêché le monde de s’effondrer.
Florence Provencher, ce n’est pas une héroïne au sens classique. C’est plutôt un rappel discret qu’on peut venir de pas grand-chose, et briller.
On n’a pas besoin d’autorisation pour exister. Et parfois, juste tenir bon… c’est déjà laisser une trace.
Aujourd’hui encore, il y en a, des Florence. On les croise bien plus qu’on ne l’imagine.
Et grâce à Marylène Pion, elles ne sont plus invisibles.